Campagne mondiale pour l’éducation (CME) Un Milliard de Voix : Déclaration de politique

 La campagne de la CME « Un Milliard de Voix » vise à fournir un moyen de s’attaquer de toute urgence au manque de financement de l’éducation, encore aggravé par la pandémie de Covid-19, qui menace aussi les avancées de l’ensemble de l’Agenda du développement durable et en particulier de l’ODD 4.

Le financement national de l’éducation

La législation internationale des droits de l’homme énonce des obligations que les États sont tenus de respecter. Les États sont les garants du droit à l’éducation en vertu de la législation internationale des droits de l’homme et les principaux responsables de sa mise en œuvre directe. Comme tous les droits humains, le droit à l’éducation impose trois niveaux d’obligation aux États : respecter, protéger et réaliser le droit à l’éducation.

  • L’obligation de respecter invite les États à éviter toutes les mesures qui entravent ou empêchent l’exercice du droit à l’éducation.
  • L’obligation de protéger requiert des États qu’ils prennent des mesures pour empêcher des tiers d’entraver l’exercice du droit à l’éducation.
  • L’obligation de réaliser signifie que les États doivent prendre des mesures positives qui aident les individus et les communautés à exercer leur droit à l’éducation.

Conformément aux principes établis par la législation internationale des droits de l’homme, en particulier les articles 2 et 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États doivent veiller à mettre le maximum de ressources à la disposition de l’éducation dans le cadre d’un financement progressif. Sans ressources financières permettant de couvrir les dépenses liées au fonctionnement des systèmes éducatifs, il est tout simplement impossible d’offrir une éducation.

Des cadres politiques ont été convenus par la communauté internationale sous l’égide de l’UNESCO, et récemment repris dans la Déclaration et le Cadre d’action d’Incheon qui, parallèlement à l’Agenda du développement durable (ODD 4), proposent une série de cibles prioritaires dont la réalisation est conditionnée par un financement. En d’autres termes, l’atteinte de ces cibles nécessite un investissement public suffisant et adéquat.

Les ressources intérieures restent la première source de financement de l’éducation, puisqu’elles représentent environ 97 % du financement total de l’éducation dans le monde. Les États doivent s’engager clairement à fournir un financement équitable

correspondant aux priorités, aux besoins et aux capacités nationales en matière d’éducation pour faire progresser la réalisation graduelle du droit à l’éducation. Le budget national doit avoir la sensibilité nécessaire pour répondre aux besoins des plus pauvres et des plus marginalisés afin de lutter contre l’inégalité, la discrimination et l’exclusion dans l’éducation. On sait que les groupes les plus marginalisés sont souvent ceux qui reçoivent le moins de ressources. En allouant un budget progressif aux communautés les plus défavorisées, l’État doit également garantir l’atteinte d’autres cibles liées, entre autres, à la qualité de l’apprentissage, à la formation des enseignants, à l’accès aux biens culturels et à l’apprentissage tout au long de la vie.

Le respect des ODD exige une augmentation progressive des investissements. Les principales estimations suggèrent que, globalement, les besoins annuels de financements publics supplémentaires représentent environ 27 % du PIB dans les pays à faible revenu et 7 % dans les pays à revenu intermédiaire. L’éducation constitue environ un cinquième de ces besoins dans les pays à faible revenu et un tiers dans les pays à revenu intermédiaire. Les financements supplémentaires nécessaires sont estimés à 1 400 milliards de dollars par an[1].

Pour augmenter et améliorer le financement national de l’éducation, il faut également améliorer les mécanismes démocratiques de contrôle des dépenses. Les communautés et les citoyens en général sont en droit d’exercer un contrôle sur la gestion du gouvernement à différents stades du cycle budgétaire et à différents niveaux. C’est un principe central de responsabilisation qui doit être encouragé.

Le cadre des 4S permet d’examiner la cohérence de la loi par rapport au Cadre d’action d’Incheon Éducation 2030 : la part des budgets nationaux consacrée à l’éducation ; la taille des budgets ; la sensibilité des dépenses publiques d’éducation et le contrôle des budgets d’éducation[2].

La Déclaration d’Incheon et le Cadre d’action appellent les États à :

  • allouer au moins 4 à 6 % du produit intérieur brut (PIB) à l’éducation et/ou
  • allouer au moins 15 à 20 % des dépenses publiques à l’éducation.

Un financement public de l’éducation assuré et progressif est la principale garantie d’accès aux possibilités d’éducation et la ressource la plus efficace pour lutter contre la privatisation croissante de l’éducation, qui peut tirer parti de failles institutionnelles pour enrichir une petite frange de la population au détriment des autres.

Le financement public est lié aux capacités économiques et financières des États, à leur production brute et à leurs stratégies institutionnelles, qui reposent fondamentalement sur la collecte d’impôts, l’investissement social et le contrôle des dépenses publiques. Par conséquent, la fiscalité est cruciale pour réunir les ressources nécessaires à l’éducation. Il est donc essentiel que les États adoptent des cadres de justice fiscale où la charge repose sur les secteurs les plus riches.

Des réformes fiscales doivent donc être entreprises afin d’augmenter la taille du budget global de l’État et la part consacrée à l’éducation.

La CME estime que la seule manière pratique et réaliste pour les pays de faire face à ces pressions concurrentes sur les budgets publics est de maximiser les recettes disponibles en mettant en place des systèmes nationaux d’imposition progressifs et élargis, en révisant les accords portant sur les taxes et les redevances des entreprises, en particulier dans le secteur des ressources naturelles, et en comblant les failles qui permettent l’évasion fiscale et l’évitement fiscal du secteur privé, et font perdre aux pays en développement 138 milliards de dollars par an.

Les États doivent élargir leur assiette fiscale afin d’accroître les ressources nationales disponibles pour les services publics, dont l’éducation. Ils doivent aussi rechercher de nouvelles sources fiscales et s’efforcer d’atteindre un ratio impôt/PIB de 20 % au minimum.

La CME est fermement convaincue que le paiement d’impôts équitables est une obligation morale et une condition préalable pour les acteurs privés désireux de contribuer au débat sur la politique de l’éducation. Le Fonds monétaire international (FMI) suggère que la plupart des pays pourraient augmenter leur ratio impôt/PIB de 5 % à moyen terme (3 à 5 ans) – et la CME estime que tous les pays devraient élaborer des stratégies ambitieuses pour y parvenir en établissant une fiscalité équitable et progressive.

L’affectation des ressources financières nationales au paiement du service de la dette plutôt qu’à l’application des droits humains fondamentaux aura un impact significatif sur le développement des pays à court et à long terme si des mesures urgentes ne sont

pas prises pour alléger ou annuler la dette. Des preuves récentes semblent indiquer qu’en raison de l’incapacité de la communauté internationale à alléger la dette des pays qui ont utilisé leurs ressources financières pour lutter contre la pandémie de Covid-19, beaucoup de pays ont été contraints de réduire leurs budgets publics. L’analyse révèle que 40 pays sur 80 ont mis en œuvre des « réductions de dépenses compensatoires représentant 2,6 % du PIB en 2020 » (Munevar’s 2020:1).

Afin de libérer des ressources nationales pour accroître l’investissement dans les services publics, notamment l’éducation publique gratuite et inclusive pour tous, la CME appelle à :

  • L’annulation urgente de la dette des pays les moins avancés et des pays peu développés ;
  • Un allégement de la dette pour les pays à revenu intermédiaire et à revenu intermédiaire tranche supérieure ;
  • La conversion de la dette pour les pays à revenu moyen – et même pour les pays à revenu élevé en situation de surendettement – sous réserve de la signature d’accords prévoyant d’investir dans l’éducation.
  • Un nouvel engagement ou un pacte des créanciers et des débiteurs pour exiger une transparence totale dans les accords de prêts futurs.
L’aide multilatérale et bilatérale

Selon la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide adoptée en 2005 et réaffirmée à Accra en 2008, un nouveau niveau de gouvernance économique supranational, au-dessus de la Banque mondiale et des banques régionales de développement, garantit aux pays en développement la possibilité d’accéder à une aide internationale prévisible pour l’éducation. Ce cadre est également conforme aux engagements pris par de nombreux pays développés d’atteindre l’objectif de 0,7 % du produit national brut (PNB) pour l’APD aux pays en développement.

En dépit de ces obligations claires, l’UNESCO a déclaré en 2017 que l’aide à l’éducation stagnait et n’allait pas aux pays qui en avaient le plus besoin, puisque l’aide publique au développement (APD) mondiale est passée de 145 milliards de dollars en 2014 à 152 milliards de dollars en 2015, soit une augmentation de 5 % en termes réels. Cela s’explique en partie par la crise des migrations et des réfugiés en Europe, qui a atteint un point culminant en 2015. Toutefois, l’augmentation cumulée de l’APD entre 2010 et 2015 a été de 24 %.

Pourtant, alors même que l’aide globale augmentait, on constate que l’aide à l’éducation a stagné[3].

Selon le PME, le financement de l’éducation par les pays donateurs du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE a globalement diminué de manière significative depuis son pic de 2010, passant de 8,1 à 7,6 milliards de dollars, soit une baisse de 6 %, et la plupart des fonds ont été dédiés à l’enseignement supérieur[4].

La CME recommande d’améliorer l’efficacité de l’aide par le biais du Partenariat mondial pour l’éducation (PME) et du fonds L’éducation ne peut attendre (ECW) afin de renforcer la coordination et l’harmonisation, en particulier dans les situations d’urgence, où l’impact de la pandémie de Covid-19 a été le plus dramatique et où l’éducation a été perturbée par des conflits armés, des déplacements forcés, des catastrophes induites par le changement climatique et des crises prolongées. Grâce à un financement opportun et prévisible de la part de nombreux donateurs depuis la création du fonds ECW en 2016, les investissements du fonds avaient bénéficié fin 2019 à près de 3,5 millions d’enfants et de jeunes dans trente des pires crises humanitaires du monde ; mais 300 millions de dollars supplémentaires doivent encore être rassemblés pour soutenir les interventions d’éducation d’urgence d’ECW en réponse à la pandémie de Covid-19 dans les situations de crise.

Les donateurs multilatéraux et bilatéraux doivent continuer à engager de nouveaux fonds pour l’éducation. La CME estime que le PME devrait jouer un rôle de chef de file pour accroître le financement de l’éducation préscolaire en consacrant davantage de fonds au financement de l’éducation préprimaire et de l’intégration du handicap dans tous les pays qui en ont besoin. La CME soutient le processus de reconstitution des ressources du PME, qui vise à réunir au moins 5 milliards de dollars et appelle les donateurs à s’engager à ce titre. La CME estime également que l’aide multilatérale et des donateurs devrait éviter de générer toute forme d’endettement des pays à revenu moyen tranche inférieure, dont beaucoup sont déjà fortement ou modérément endettés, et ce à un moment où les vulnérabilités à la dette augmentent, comme l’ont démontré aussi bien les acteurs de la société civile que le FMI. Les mécanismes de prêt ne constituent pas des sources de financement prévisibles et durables qui aident les gouvernements à faire les investissements à long terme nécessaires pour améliorer l’éducation.

En réponse à la politique et au contexte politique autour du financement de l’éducation et de la Covid-19, la Campagne mondiale pour l’éducation a mis en place la campagne Un Milliard de Voix qui sera lancée le 25 janvier 2021. La campagne comporte un Appel à l’action avec des recommandations politiques qui peuvent nous aider à réaliser le changement urgent qui s’impose, à condition que nous, en tant que citoyens et acteurs de l’éducation, les soutenions, tous ensemble.


[1] Shiroya, Naoko et Browne, Marcela. C20 report from Civil Society Organizations. 2019.

[2] Le schéma des 4S est une proposition commune de la CME, d’ActionAid et de l’IE Voir Perez Murcia, Luis Eduardo. Education Financing Laws: Promises and Shortfalls for Securing the Right to Education for All. Policy Briefing Series. CME. Mars 2020, et

[3] https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000249568

[4] https://www.globalpartnership.org/fr/blog/comment-se-decline-le-soutien-des-bailleurs-leducation-constats-apres-une-plongee-dans-les-chiffres-de-lapd

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La Campagne Mondiale pour l'Éducation (CME) est un mouvement de la société civile qui vise à mettre fin à la crise mondiale de l'éducation. L'éducation est un droit humain fondamental et notre mission et de nous assurer que les gouvernements agissent dès aujourd'hui pour réaliser le droit à une éducation publique gratuite et de qualité pour tous.