A large banner saying "Brazil unites for education" is extended by protesters on Avenida Brigadeiro Faria Lima, Rio, Brazil during a mass mobilisation in May 2019.

Même sous la menace du recours aux forces armées, les étudiants brésiliens, les syndicats d’enseignants et la société civile protestent contre la censure et la précarité du droit à l’éducation.

En cette Journée mondiale de l’aide humanitaire, nous soulignons que les mobilisationsdes étudiants, des professionnels de l’éducation et de la société civile qui ont eu lieu dans tout le pays le 13 août dernier sont une forte réaction et un signe de résistance à un gouvernement qui a fait de grands pas à reculons vers un passé très peu désirable.

Nous faisons face à une crise énorme dans la démocratie brésilienne. Notre pays a déjà traversé des crises mais depuis la destitution du président Dilma Rousseff en 2016, nous assistons à un affaiblissement des fondements et des institutions démocratiques du pays et à un recul dans les acquis sociaux. Nous n’avions jamais progressé aussi rapidement dans le renforcement de la démocratie et la promotion des droits sociaux mais nous n’avions jamais connu de rechute à un rythme aussi rapide.

Des décisions budgétaires catastrophiques pour l’éducation

Le gouvernement provisoire de Michel Temer a été le symbole de la mise en place d’un nouveau programme économique, une vraie menace pour les droits sociaux qui se caractérise par l’approbation de l’amendement constitutionnel 95/2016, établissant un nouveau régime fiscal stipulant qu’aucun investissement dans les domaines sociaux ne peut dépasser le taux de rajustement lié à l’inflation pendant vingt ans, c’est-à-dire un gel des ressources pour l’éducation, la santé et l’assistance sociale jusqu’en 2036.

Outre l’absurdité d’enfreindre l’accès à des droits sociaux de qualité, une prérogative fondamentale des droits de l’homme et de la Constitution fédérale brésilienne elle-même, il est étonnant pour quiconque comprend l’importance de l’État de droit de voir un gouvernement prendre une décision budgétaire au nom des décideurs des générations futures sur une période de vingt ans et sous les auspices de la Constitution fédérale, la loi suprême du pays.

Les élections de 2018 se sont déroulées dans un climat d’instabilité politique et économique croissante, avec la victoire de Jair Messias Bolsonaro. Un groupe très populiste est maintenant au pouvoir, composé de membres de groupes économiques ultra-libéraux qui prônent une vaste réduction des pouvoirs de l’État. Ceux-ci coexistent avec des groupes militants ultra-conservateurs qui défendent un État plus actif dans la défense des valeurs familiales et religieuses. C’est un gouvernement qui, en huit mois, a menacé de manière agressive les organisations de la société civile et a mené des actions désastreuses, surtout dans les domaines de l’éducation et de l’environnement. Le gouvernement s’est attaqué à l’égalité des sexes et a même censuré l’utilisation de ces termes sur la scène nationale et internationale.

Sur le plan financier, selon une enquête de l’Institut d’études socio-économiques (Inesc), de 2014 à 2018, le budget de l’éducation a été réduit de 13,5 % et, en 2019, le président Jair Bolsonaro a annoncé une réserve de 5 % des fonds approuvés pour l’année, entraînant le gel de 5,84 milliards de reais (environ 1,5 million de dollars US) dans le domaine de l’enseignement supérieur et la recherche, un signal d’alarme pour les universités publiques fédérales et aux milliers de chercheurs brésiliens qui reçoivent des bourses.

« La crise de l’éducation au Brésil n’est pas une crise, c’est un projet »

Selon une citation de Darcy Ribeiro, un grand intellectuel brésilien, « la crise de l’éducation au Brésil n’est pas une crise, c’est un projet ». Il n’y a jamais eu de réelle préoccupation de la part de nos dirigeants pour garantir une meilleure éducation du public. Notre pays est marqué par de profondes inégalités sociales que l’on peut observer dans les écoles de diverses régions où il est impossible de trouver un ordinateur avec accès à Internet, des laboratoires, des terrains de sport et, dans de nombreux cas, même de l’électricité, des installations sanitaires et de l’eau potable.

Nul ne peut nier les progrès remarquables effectués sous les gouvernements de Lula et de Dilma, avec de nouvelles lois et politiques publiques sur l’éducation et l’assistance sociale qui ont sorti des millions de personnes de la pauvreté et qui se rapprochent de l’accès universel à l’enseignement primaire. Cependant il y a encore 1,3 million d’enfants et d’adolescents non scolarisés au Brésil et nous sommes loin des objectifs fixés dans le Plan national pour l’éducation de 2014, qui sont la réalisation en dix ans d’une éducation publique de qualité gratuite et accessible pour tous les Brésiliens et résidents de ce pays.

Un climat de menace et de censure

Au-delà des décisions budgétaires catastrophiques pour l’éducation, il y a un obscurantisme et un anti-scientisme profonds dans la direction du ministère. Le premier ministre de l’éducation de Bolsonaro, Velez Rodriguez, était profondément convaincu que les universités et les écoles brésiliennes étaient sous l’emprise « des militants marxistes qui endoctrinent leurs étudiants à suivre les idées communistes ».

Quelques jours après sa nomination, Rodríguez a licencié des dizaines de personnes, proposé le changement de manuels scolaires, mis sur pied une commission chargée d’examiner les questions de l’examen national des lycées, cela afin de le débarrasser d’un éventuel « endoctrinement »  et, dans sa mesure la plus controversée et incroyable, publié une résolution pour toutes les écoles du pays déclarant que professeurs et élèves brandissent le drapeau et chantent l’hymne national tous les jours, lisant une lettre contenant le slogan électoral de Bolsonaro : « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tout ». Les écoles doivent filmer des vidéos de ces moments pour les envoyer au ministère. En outre, il a encouragé la création de «  tribunaux pédagogiques » dans les écoles où les élèves eux-mêmes sont censés superviser les enseignants qui font usage « d’endoctrinement idéologique », notamment en enregistrant les séances de classe et en faisant des vidéos. Cette mesure a été annulée après d’énormes répercussions négatives et après d’intenses pressions populaires, Rodríguez n’est resté au pouvoir que 96 jours. Malgré sa démission, le climat de menace et de censure règne toujours dans les salles de classe partout dans le pays.

Militarisation des écoles

Le gouvernement de Jair Bolsonarois est également marqué par la tutelle directe des officiers militaires, la classe la plus représentée dans les nominations du président aux postes gouvernementaux. L’expansion de la militarisation des écoles fait partie du planning du ministère. Selon une enquête réalisée par des journalistes et la Campagne brésilienne pour le droit à l’éducation, entre 2013 et 2018, le nombre d’écoles publiques administrées par le portefeuille de sécurité publique de l’État, c’est-à-dire par l’armée nationale et la police militaire, est passé de 39 à 122, soit une augmentation de 212 %.

Outre le fait que la militarisation représente un autre pilier autoritaire du nouveau gouvernement, cette pratique croissante dans les écoles publiques est anticonstitutionnelle à divers égards et constitue une violation des traités internationaux signés par le Brésil.

Le ministre de l’Éducation actuel, Abraham Weintraub, ne cesse de prononcer des discours belliqueux face à ses soi-disant « militants de gauche de l’éducation » et a récemment présenté une proposition de privatisation massive des universités publiques fédérales comme une de ses priorités. Selon les déclarations du ministre et du président lui-même, les étudiants et les enseignants mettaient le « désordre » dans les universités publiques et « ne connaissaient même pas la table de multiplication », les traitant de « vagabonds ». Ces discours sont faux et très déplacés.

Un climat d’insécurité et de menace pour les droits de l’homme

La censure, les menaces et l’incitation à la violence ont culminé la semaine dernière, lorsque le ministère de la Justice et de la Sécurité publique a autorisé l’utilisation de la Force nationale de sécurité publique pour maintenir l’ordre public le 13 août, une attitude claire de répression des mouvements des syndicats étudiants et enseignants prévue ce jour-là.

Le climat d’insécurité et de menace pour les droits de l’homme au Brésil et la violence qui a coûté la vie à des défenseurs des droits de l’homme, comme Marielle Franco, une conseillère municipale abattue à Rio de Janeiro, sont intenses et empirent chaque jour.

Les mouvements étudiants mènent la lutte pour le droit à l’éducation

Il est important que tout le monde sache qu’une grande partie de la population brésilienne, et en particulier les jeunes, ne reste pas passifs face aux menaces croissantes du nouveau gouvernement. Comme dans beaucoup d’autres pays où les libertés et les droits de l’homme sont menacés (Hong-KongSoudan, Afrique du Sud, Albanie, pour ne citer que quelques exemples), les étudiants sont à l’avant-garde du mouvement socialprogressiste. Les dernières années ont été marquées par des manifestations successives à travers le pays et de plus en plus de gens se battent pour les droits de l’homme.

Les mouvements d’étudiants et les organes représentatifs des professionnels de l’éducation, comme la Confédération nationale des travailleurs de l’éducation, ont pris une place importante dans la lutte pour le droit à l’éducation et la mobilisation des jeunes, des adolescents et de la société en général pour protester et résister. Les organisations de la société civile, comme la Campagne brésilienne pour le droit à l’éducation, ont fait de la résistance dans des plateformes comme le Congrès national et dans des espaces participatifs nationaux et locaux, dénonçant les violations des pratiques étatiques dans les forums internationaux, leur permettant d’obtenir des résultats importants auprès des Nations Unies et de l’OEA.

La communauté internationale doit prendre position

En cette Journée mondiale de l’aide humanitaire, nous dénonçons la situation fragile dans laquelle nous nous trouvons alors que nous résistons à tant d’attaques dont certaines vont au-delà de restreindre les droits économiques, sociaux et culturels et menacent nos libertés civiles et politiques, ainsi que notre propre intégrité physique.

En cette Journée mondiale de l’aide humanitaire, il est essentiel que la communauté internationale prenne position et agisse pour protéger les militants et les droits de l’homme au Brésil.

Cette année, la Journée mondiale de l’aide humanitaire met à l’honneur les femmes dévouées aux actions humanitaires (#FemmesHumanitaires), ainsi nous vous demandons de vous joindre à la voix des femmes du Brésil, dont les dirigeants s’enorgueillissent d’attitudes misogynes, de s’opposer à l’égalité des sexes et de prononcer des discours qui nient la violence à l’égard des femmes dans le 5e pays qui compte le plus grand nombre de décès de femmes dans le monde.

Le Brésil souffre en effet mais le Brésil résiste aussi. Le Brésil résiste avec les bras levés et la marche constante de ses jeunes, de ses enseignants et de ses militants. Venez lever les bras avec nous. Venez marcher avec nous.

#WorldHumanitarianDay

Authors: Andressa Pellanda e Gabriel Morais

Andressa PellandaAndressa Pellanda est coordinatrice exécutive de la Campagne brésilienne pour le droit à l’éducation, étudiante en maîtrise en relations internationales (IRI / USP). Elle est titulaire d’un diplôme de deuxième cycle en sciences politiques (FESP / SP),d’une licence en communication sociale et d’un diplôme en journalisme (ECA / USP). Andressa a pris part dans un échange universitaire en histoire contemporaine et théorie des relations internationales (Université Paris-Sorbonne IV / France) et elle s’est spécialisée en négociation diplomatique (Fondation Diplo / Suisse). Andressa fait des recherches sur le plaidoyer et les politiques éducatives, en particulier sur les thèmes de l’éducation politique, la qualité, le financement, les processus et acteurs internationaux de l’éducation, ainsi que les mécanismes de privatisation de l’éducation.

Gabriel MoraisGabriel Morais est chargé de projet de la Campagne brésilienne pour le droit à l’éducation, titulaire d’une licence en théologie (Collège théologique baptiste de São Paulo), il poursuit actuellement des études en licence de sciences sociales (FESP / SP). Il est technicien en informatique (École technique Albert Einstein State). Il a une formation complémentaire dans l’approche de conception et du leadership créatif (ESPM) ainsi qu’en approche narrative (Casa do Brincar).

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La Campagne Mondiale pour l'Éducation (CME) est un mouvement de la société civile qui vise à mettre fin à la crise mondiale de l'éducation. L'éducation est un droit humain fondamental et notre mission et de nous assurer que les gouvernements agissent dès aujourd'hui pour réaliser le droit à une éducation publique gratuite et de qualité pour tous.